Pour gagner une guerre, quand on est en mauvaises posture, il faut d’abord stopper l’ennemi. Ensuite le faire reculer. Enfin l’anéantir.
COVADONGA, LES MAURES NE SONT PAS INVINCIBLES !
En l’an de grâce 722, la péninsule ibérique a été conquise en onze ans depuis le débarquement de Tariq Ibn Ziyad à Gibraltar. Les Arabes ont ensuite envahi le Sud-Ouest de la France (Poitiers 732). Mais une poche de résistance en travers de la route du Nord leur pose un problème à la fois stratégique et logistique. Ainsi en 721, coupés de leurs arrières, les mahométans se font étriller à Toulouse.
Dans ce qui correspond à peu près aujourd’hui à la province des Asturies, des Wisigoths chassés d’Andalousie se sont réfugiés dans la cordillère cantabrique. Une forteresse naturelle facile à tenir contre un ennemi supérieur en nombre.
Pélage, duc de Cantabrie, qui a temporisé pour ne pas payer la djizia aux mahométans de Gijón, s’efforce de lever une armée pour expulser les Sarrasins. Ses premiers alliés seront, en plus des Wisigoths, les Galiciens à l’Ouest et les Navarrais à l’Est. S’ensuit une série d’escarmouches et d’embuscades à partir de l’été 722 au terme desquelles le calife omeyyade, furieux, envoie une armée pour soumettre les Asturies.
Les chrétiens, moins nombreux mais plus avisés que les mahométans, leur tendent un piège : Reculer en bon ordre, se cacher le jour, attaquer la nuit par petits groupes, et insidieusement attirer les ennemis dans une nasse. Cinq cols élevés jusqu’à une vallée encaissée où ils perdront leur mobilité. Et où on pourra les exterminer depuis les hauteurs. En faisant choir sur eux d’énormes rochers et glisser des pans de montagne. 300 Asturiens et alliés l’emportent contre 8.000 coraniques.
L’armée des Maures est anéantie et ses généraux empalés. Dans la foulée, Gijón et des bourgades soumises se rebiffent et c’est la curée contre l’envahisseur qui, refoulé dans le Sud, ne reviendra plus. Avec cette belle victoire commence la Reconquista, qui s’achèvera en 1492.
ACTE 2 : LAS NAVAS DE TOLOSA
La bataille de Las Navas de Tolosa a lieu dans le Sud de la Castille le 16 juillet 1212. Les royaumes ibériques renforcés par des troupes provenant de toute l’Europe, vont affronter des armées musulmanes arrivant d’Al-Andalus, du Maghreb et du Machrek. Cinq siècles après Covadonga, les chrétiens ont libéré les ¾ de la péninsule, que les Maures sont décidés à reprendre.
La confrontation sera décisive. Elle a été préparée depuis 1209 par Don Rodrigo Jiménez de Rada, archevêque de Tolède, qui a réussi à unifier les grands féodaux par le traité de Guadalajara. Obtenant du pape Innocent III les mêmes indulgences canoniques pour les croisés de la péninsule Ibérique que pour ceux de Terre Sainte.
Les armées chrétiennes se mettent en ordre de bataille le 21 juin 1212 et font route vers le sud. Le 24 juin, elles atteignent la medina de Malagón. La garnison musulmane se réfugie dans la citadelle, abandonnant les remparts que les Espagnols escaladent. Pas de pitié pour les vaincus.
Muhammad an-Nâsir le calife des Almohades a promis victoire et richesses à ses troupes. Les mahométans sont les plus nombreux. Mais il leur manque la petite lueur de génie qui anime leurs adversaires. Frappant vite et fort à l’improviste, concentrant leurs forces sur les points faibles, ils s’emparent de bastions réputés imprenables, puis incendient nuitamment les campements des Maures, qui deviennent des cibles faciles.
L’armée se dirige ensuite vers Calatrava, importante cité qui commande l’accès vers l’Andalousie. Les mahométans se rendent à la condition que leur vie soit épargnée et qu’on les laisse repartir d’où ils viennent. Bon débarras ! Pour sa punition, le général qui était censé garder la ville, sera égorgé comme un mouton par le calife Muhammad an-Nâsir.
Après la chute de Calatrava, les chrétiens s’emparent de plusieurs châteaux-forts, en route vers la Sierra Morena, ultime barrière naturelle qui les sépare du califat. Passant par des sentiers détournés où on ne les attend pas (toujours le bonus de l’intelligence sur la barbarie) les chevaliers chrétiens prennent position sur la mesa del rey, un plateau qui domine la vallée à 9 km au Nord du village de Las Navas de Tolosa.
Le 13 juillet, ils aperçoivent au pied de la Sierra Morena, les Almohades qui font mouvement. Le 14 juillet, les forces chrétiennes consolident leurs positions et reçoivent des renforts. Les Navarrais guidés par des bergers jusqu’au col de la Losa observent les troupes ennemies, leurs armements, leurs mouvements et les opportunités qu’offre le terrain.
À l’aube du 16 juillet, les chrétiens passent à l’attaque. L’assaut commence sous les flèches des Maures retranchés dans un fortin, tandis que la cavalerie légère des Berbères et des Almohades enveloppe les ailes des chrétiens. 30.000 mahométans fanatisés par le djihad contre 14.000 chrétiens. Mais les coraniques disposent mal leurs forces, la cavalerie et les fantassins se gênent, et les abids, des esclaves armés de javelots, utilisés en boucliers humains, détalent comme des lapins.
Les rois Alphonse VIII de Castille et Alphonse II du Portugal, avec Don Rodrigo l’archevêque de Tolède en personne, prennent la tête d’une charge de cavalerie furieuse, qui enfonce irrésistiblement le centre des Maures. Pas de quartier. Ces amateurs de boucherie halal vont être servis ! Les têtes enturbannées voltigent comme des ballons de basket. Tandis que de leur côté, les rois d’Aragon et de Navarre, contournent et chargent à leur tour les arrières des troupes musulmanes.
Les croisés pénètrent alors jusqu’au retranchement des archers adverses pour des corps à corps féroces. Les troupes mauresques, décontenancées, perdent rapidement pied, dans une grande panique, et fuient en désordre. Sans leurs babouches pour courir plus vite. Les forces chrétiennes se lancent à leur poursuite.
La lâcheté de l’émir ben Yusuf, chef de guerre qui se dit descendant du prophète, accentue le désarroi des lascars (asker = soldat en arabe) qui seront éliminés au fur et à mesure qu’on les rattrape. Bilan : 2000 tués pour les nôtres, 25.000 chez les autres. Seuls les Israéliens ont fait mieux depuis.
L’émirat de Grenade survivra jusqu’en 1492 après un accord de vassalité avec le royaume de Castille. Mais la soumission a changé de camp. Les autres taïfas sont reconquises à leur tour. Cordoue tombe en 1236, Séville en 1248, Faro en 1249, Cadix en 1261. À la fin du XIIIe siècle, l’émirat de Grenade occupe moins d’un dixième de la péninsule. Effets collatéraux de ces défaites : Les muftis se radicalisent, accusant les coraniques d’avoir été punis par Allah parce que trop tièdes en religion.
ACTE III : LA PRISE DE GRENADE POUR EN FINIR (PROVISOIREMENT)
En 1491, l’Émirat de Grenade est le reliquat de l’ancien royaume maure qui dominait toute la péninsule ibérique. Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille décident de mettre fin à cette présence intolérable en allant assiéger Grenade. Pendant plusieurs mois, les combats sont incertains.
Le 2 janvier 1492, Ferdinand pense à lever le siège. Il y a beaucoup de blessés et d’estropiés dans le camp hispanique. Des hagiographies d’époque embellissent-elles l’histoire? La reine de Castille passe en revue ses troupes, encourage ses chevaliers toujours motivés à en découdre avec les Maures, et décide de diriger un assaut final.
— Caballeros, dit-elle à ses soldats épuisés, vous vous êtes bien battus. Vous pouvez rentrer chez vous avec honneur. Mais avant, vous allez voir comment meurt une reine.
En ce temps là, les Européens étaient de vrais guerriers. Capables de se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Tandis que les attaquants valides en nombre réduit se mettent en formation, les malades, les moribonds, les manchots, les éclopés et même les unijambistes sur leurs béquilles empoignent leurs lances et leurs arcs. Montés sur des rossinantes, des chariots, ou se soutenant les uns les autres, ils forment une improbable cohorte pour défendre leur reine.
C’est la stupeur chez les mahométans. Alors qu’ils avaient ouvert une porte pour contre-attaquer les croisés, ils sont repoussés et envahis par un pandémonium de soldats sanglants et enragés, menés par une femme qu’aucun projectile ne semble atteindre. Des démons venus de l’enfer. Et c’est la débandade. Le sultan Boaddil (Abou Abdallah) capitule.
Ainsi s’achève la Reconquista. Pour les cinq siècles à venir. Car avant de rentrer au Maghreb, Boaddil avait jeté son épée à la mer, en promettant de revenir la chercher. Ses descendants ont tenu parole. Tout le boulot est à refaire.
Christian Navis
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