Visant à disqualifier tous ceux qui questionnent le discours progressiste dominant, le label est appelé à s'étendre indéfiniment, au risque de devenir insignifiant.
Par Laurent Dandrieu
D’extrême droite, CNews et “la galaxie médiatique Bolloré”, qui “veut la peau du service public”. D’extrême droite, le magazine l’Incorrect, qui a osé mettre en doute l’impartialité de deux journalistes exerçant sur ledit service public. D’extrême droite, évidemment, Charlie Kirk, et ceux qui veulent lui rendre hommage.
D’extrême droite, hier, aujourd’hui ou demain, tous ceux qui entrent en collision frontale avec la doxa intellectuelle dominante, qui osent prétendre que l’insécurité n’est pas qu’un sentiment, que le pluralisme de l’audiovisuel public est une aimable plaisanterie, l’immigration de masse une submersion, la théorie du genre et autres lubies progressistes le plus sûr chemin vers l’effondrement civilisationnel.
UNE BOULE PUANTE
L’extrême droite n’est plus depuis longtemps un concept politique: c’est une boule puante que l’on colle avec un sparadrap aussi indécollable que celui du capitaine Haddock aux basques de tous ceux qu’on veut rendre infréquentables. C’est l’argument massue qui permet de balayer d’un revers de main les questions embarrassantes.
Les critiques sur l’absence de pluralisme du service public? Pourquoi Mme Ernotte se donnerait-elle la peine d’y répondre, puisqu’elles proviennent de l’extrême droite? Deux journalistes du service public pris la main dans le sac de la collusion avec un parti de gauche? Une simple “barbouzerie” d’extrême droite. Un hommage au Parlement européen à Charlie Kirk, assassiné pour ses idées en plein exercice de la liberté d’expression et du débat contradictoire? Vous n’y songez pas: c’était un homme d’extrême droite…
LE SIGNE DU BLASPHEME CONTRE LA RELIGION DU PROGRES
Il est aussi vain de s’étonner de l’absence de définition précise de cette étiquette infamante que de s’ébaubir de son extension illimitée. L’absence de définition est nécessaire, car elle permet d’étendre à l’infini, selon les besoins de la cause, le troupeau des damnés. Car l’appellation “extrême droite” n’est pas seulement un artifice rhétorique commode, elle est le signe de la Bête, le fer rouge apposé à ceux qui ont blasphémé contre la religion du Progrès.
Le progressisme est une religion politique, ceux qui le servent sont les ministres du Bien.
L’extrême-droitisation de l’adversaire est bien plus qu’une arme politique, elle est un exorcisme d’expulsion, dans ce qui s’apparente à une démonologie. Le progressisme est une religion politique, ceux qui le servent sont les ministres du Bien, et ceux qui rechignent à s’agenouiller devant le dieu Progrès sont des impies qu’il convient de jeter dans la géhenne extérieure.
NOUS NE SOMMES PAS PARTISANS, SEULEMENT PROGRESSISTES
Un article récent du Monde intitulé "France Inter au centre d’une bataille culturelle " est à ce titre révélateur. On y cite un extrait de Radioactive, le prochain livre de l’ex-directrice de France Inter, Laurence Bloch, qui avait déjà dû faire face à l’accusation de pencher trop à gauche. Sa réponse: " La chaîne n’était pas de gauche, mais elle était du côté du combat pour l’égalité et la liberté. J’avais, d’ailleurs, trouvé un adjectif pertinent pour qualifier son identité. Progressiste. Il me semblait que tous les démocrates pouvaient se rallier à cette position. "
Nous ne sommes pas partisans: seulement progressistes, attachés à de nobles idéaux. Autant dire que nous sommes le camp du Bien. Qui serait assez méchant pour s’opposer au Bien? Bon sang, mais c’est bien sûr: la méchante extrême droite!
UN RITUEL D’EXCOMMUNICATION… MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS?
L’accusation n’est autre qu’un rituel d’excommunication, qui vise à transformer en lépreux tous ceux qui contestent que l’histoire ne soit qu’une longue marche vers toujours plus de droits, d’avancées sociétales et d’égalité – et toujours moins de bien commun. Comme tous les rituels, son efficacité est indexée sur le degré d’adhésion qui entoure la religion dont il émane. Or, il est clair que la religion politique progressiste, de plus en plus mise à l’épreuve du réel, ne conserve que de moins en moins de fidèles. Ceux-ci demeurant fortement concentrés dans la classe politico-médiatique, elle conserve néanmoins un pouvoir d’intimidation assez fort pour maintenir sa domination.
L’extension infinie de l’accusation d’extrême droite lui fait perdre chaque jour en crédibilité.
Mais pour combien de temps? L’extension infinie de l’accusation d’extrême droite lui fait perdre chaque jour en crédibilité, et ceux qui la profèrent apparaissent chaque jour un peu plus comme des rois nus, arc-boutés sur la fiction qui protège leurs privilèges. Le temps de la chute de l’idole Progrès n’a peut-être jamais été aussi proche.