même combat pour la survie
Photo:Talleyrand, le Diable boiteux
Dans son bulletin n° 194 du 12 juillet 2024, Xavier Moreau explique que la Révolution française, révolution bourgeoise, a transféré les privilèges vers la gauche bourgeoise. La Révolution n’a pas apporté l’élection, qui existait déjà sous l’Ancien Régime, à travers les corporations et la vie communale, mais a instauré la dictature, le totalitarisme, le culte de la rente. La Révolution n’a pas amené la liberté, la France était libre bien avant. La gauche française est née dans la Terreur, avec les exécutions de masse, le génocide vendéen, et la guerre contre l’Europe.
Xavier Moreau évoque l’insurrection royaliste de 1795, et établit un parallèle avec la situation présente où la gauche bourgeoise s’allie avec tous les autres partis pour éliminer le peuple. En effet, il y a bien des similitudes entre 1795 et 2024.
Après la chute de Robespierre, du 28 juillet 1794 au 26 octobre 1795, la réaction thermidorienne, réaction bourgeoise, achève la Convention.
Les Thermidoriens sont pour la plupart des terroristes, comme Billaud-Varennes, Tallien, Boissy-d’Anglas. Le pouvoir passe de la gauche au centre. La Plaine majoritaire règne à son tour, après la Gironde et la Montagne. Le Centre profite de la situation. Il représente l’état d’esprit de beaucoup de Français.
Devant une double opposition, populaire et royaliste, les Thermidoriens défendent la République. Deux raisons principales expliquent le mécontentement populaire. Première raison: le développement de l’agitation anti-jacobine, au fond royaliste. La "jeunesse dorée", c’est-à-dire la jeunesse riche et élégante, donne le ton à l’opinion et à la mode. Muscadins et Incroyables, jeunes royalistes revêtus d’une sorte d’uniforme, l’habit carré, armés d’un gourdin, fils de bourgeois, renforcés de déserteurs et d’embusqués, manifestent chaque jour, soit en brûlant les journaux montagnards, soit en faisant la chasse dans la rue aux Jacobins.
Les Incroyables ont une mise excentrique, un langage affecté, et répètent à tout propos: "C’est incroyable". Muscadins et Incroyables rossent les "Jacoquins" et les plongent dans les pièces d’eau sous les yeux des bourgeois. Ils interviennent dans les assemblées des sections, ils en bannissent les sans-culottes. À coups de gourdins plombés, ils chassent dans la rue les sans-culottes, fouettent les citoyennes qui montrent des sentiments jacobins. Les antifas et les black blocs d’aujourd’hui sont les Muscadins et les Incroyables d’hier.
La réaction se fait sentir dans les mœurs. Après les angoisses de la Terreur et le règne de la vertu, une brutale frénésie de jouissance s’empare de la jeunesse. La vie mondaine reprend, autour de Mme Tallien, de Mme Récamier, de Mme de Staël, dont les salons sont en pleine vogue. Paris s’étourdit d’un tourbillon de fêtes.
Les Barras et les Tallien invitent dans leurs hôtels tout un monde mélangé et libertin, émigrés de retour, régicides, bourgeois, banquiers, parvenus. On retrouve aujourd’hui ce même monde mélangé et libertin, libéraux, socialistes, communistes, gauchistes, tous apparentés au macronisme.
Deuxième raison qui explique le mécontentement populaire: les difficultés économiques. Les Thermidoriens, comme leurs prédécesseurs, pallient l’insuffisance des rentrées fiscales par une émission toujours croissante d’assignats. Cette inflation monétaire provoque une énorme dévaluation de l’assignat par rapport à la monnaie métallique, toujours utilisée comme monnaie de référence. La valeur nominale de l’assignat tombe de 36% en juillet 1794 à 28% en octobre, 24% en novembre, 20% en décembre, 17% en février 1795, 7% en mai, 3% en juillet.
Le discrédit des assignats est si complet que, en mars 1795, on échange 1 795 225 francs en papier contre un louis d’or. Les salaires étant payés en assignats à la valeur nominale subissent une perte considérable de pouvoir d’achat.
La suppression du maximum par le décret du 24 décembre 1794, la dépréciation constante du papier-monnaie ont pour conséquence une hausse considérable des prix. L’indice 100 étant pris comme référence, on atteint l’indice 580 en janvier 1795, l’indice 720 en mars, et l’indice 900 en avril.
À la hausse due au mécanisme inflationniste, s’ajoute une hausse spéculative due au retour de la liberté des prix. Les mêmes causes produisent les mêmes effets et continuent d’agir aujourd’hui, l’inflation, la spéculation, la hausse des prix, la baisse du pouvoir d’achat.
De plus, les mauvaises récoltes de 1795 et 1796, la volonté des paysans de ne pas céder leur blé contre des assignats rendent difficile l’approvisionnement des villes et aggravent la disette. L’hiver particulièrement rigoureux de 1794-1795 entraîne une crise de subsistances qui provoque la famine. L’hiver et le printemps 1795 sont terribles. Le retour à la liberté économique, l’avilissement de l’assignat, l’agiotage insensé qu’il engendre, les spéculations effrénées, le mauvais vouloir des paysans et des vendeurs sont la source d’une crise alimentaire sans précédent.
Le bien-être, le luxe, la fortune insolente de quelques-uns paraissent comme des insultes. Le contraste est trop vif pour être supporté. Le peuple sans guide, insulté par les Muscadins et les Incroyables, brimé dans les sections, n’a plus que la ressource de l’émeute aventureuse.
Les dernières journées populaires de la Révolution sont avant tout des insurrections de la misère.
12 Germinal, 1er avril 1795. Lors d’une émeute encore pacifique, les manifestants envahissent l’Assemblée. La Convention renforce les pouvoirs de police.
1er Prairial, 20 mai 1795. Le peuple, manquant toujours de pain, récidive, la manifestation prend un caractère plus violent. Les ouvriers des faubourgs, en armes, envahissent de nouveau la Convention. Vers minuit, les gardes nationaux, renforcés des Muscadins, reprennent possession de la salle. L’insurrection de Prairial, dernière journée révolutionnaire, aboutit à l’écrasement des forces révolutionnaires. Pour mater la révolte, la Convention fait appel à l’armée. Le peuple, en armes depuis 1789, est désarmé. La réaction victorieuse s’en prend aux personnes. Une répression anti jacobine suit l’échec de Prairial, arrestations, exécutions. La réaction victorieuse s’en prend aux institutions. 9 Messidor, 27 juin 1795: une légion de police parisienne est créée.
Aujourd’hui, pas de disette, pas de famine, mais que similitudes avec 1795: le coût de l’énergie en lieu et place du prix du pain, le mouvement des Gilets jaunes, insurrection de la misère, et l’anéantissement de cette rébellion, l’élimination des opposants, la fondation de milices.
Les émeutes de la faim ont engendré un coup à gauche, la tentative royaliste va engendrer une deuxième opposition et un coup à droite.
Contre la poussée royaliste, la Convention thermidorienne revient à une politique de défense républicaine. À la Terreur rouge, succède la Terreur blanche fomentée par les royalistes. La Terreur blanche sévit surtout dans les régions du Sud-Est. La contre-révolution est l’œuvre de jeunes gens organisés et armés, les Compagnons de Jéhu (ou de Jésus), les Compagnons du Soleil. Ils font la chasse aux Jacobins et commettent de nombreux assassinats. Aucun simulacre de justice, on tue sans formes, sans jugements, sans règles. La Convention accueille en silence les rapports qui lui sont envoyés. Inconsciente, trop faible ou complice, elle laisse des bandes royalistes mêlées à des gens sans scrupules se livrer à d’odieuses représailles. Aujourd’hui, les antifas, les black blocs, les Islamistes, peuvent s’abîmer dans la violence sans réplique du pouvoir macronien.
À Paris, beaucoup d’émigrés sont rentrés en cachette. Ils gagnent des bourgeois et des hommes d’affaires inquiets, ils peuvent compter sur les Muscadins et les Incroyables. Ils finissent par former des groupements assez importants, surtout dans le quartier Lepeletier, quartier de la Bourse. Ils intriguent pour préparer les élections prochaines.
La poussée royaliste ne se cache plus. L’opinion royaliste gagne du terrain et de nombreux hommes politiques songent à une restauration en faveur du prisonnier du Temple, le jeune Louis XVII. 20 Prairial, an III, 8 juin 1795, la mort de l’enfant coupe court à ce projet. Le comte de Provence prend le nom de Louis XVIII et publie un manifeste à Vérone dans lequel il expose son programme. Une partie de l’opinion est favorable à une monarchie modérée.
Les Thermidoriens ne veulent pas plus du royalisme que du jacobinisme, et garantissent leur avenir. Pour ces Conventionnels, les intérêts comptent plus que les principes. Ils songent à l’échafaud du 21 janvier 1793 et comprennent qu’il s’agit désormais de sauver leur vie, leur fortune. La Révolution a compromis trop de gens pour que l’on envisage un rétablissement des Bourbons et de l’Ancien Régime.
La situation générale reste difficile. La récolte de 1795 est médiocre et provoque une hausse des prix due à la rareté qui s’ajoute à la hausse des prix d’origine inflationniste liée à l’assignat. À Paris, le prix du pain dépasse le niveau de 1789. Par rapport à l’indice 100 de 1790, on atteint l’indice 2180 en juillet et 5340 en novembre.
Tous ceux qui reçoivent des assignats, salariés, rentiers de l’État, créanciers, vivent difficilement, alors que débiteurs, locataires, fermiers, emprunteurs se libèrent facilement. Tous les circuits économiques sont désorganisés. Les Thermidoriens prennent des mesures: obligation de la vente publique sur le marché, autorisation des réquisitions.
Cette politique fait craindre la réapparition de la Terreur économique. L’opinion publique reporte sur les Conventionnels la responsabilité de la crise. Un fort courant antiparlementaire se dégage. On voit apparaître l’image du député corrompu, mangeant bien et repu. Les " ventres dorés " sont et se savent impopulaires.
5 Fructidor, 22 août 1795: La Constitution de l’an III préserve la bourgeoisie nantie par la Révolution. Elle est approuvée par 914.853 oui contre 41.892 non.
13 Fructidor, 30 août 1795: La Convention vote le décret des deux tiers. En vertu de ce décret, les deux tiers des futurs députés seront choisis obligatoirement parmi les députés sortants. Ces derniers étant presque tous républicains, la majorité nouvelle restera ainsi républicaine, quel que soit le résultat des élections.
500 Thermidoriens sont maintenus d’office dans les nouvelles assemblées. Le décret des deux tiers confirme l’opinion dans l’image du député corrompu: la place est bonne puisqu’ils veulent la garder. Il ruine l’espérance des royalistes.
Aujourd’hui, la situation générale est également difficile. Les oligarques ploutocrates ne veulent pas d’une extrême droite fantasmée et majoritaire en voix, c’est-à-dire du peuple. Au 2e tour des élections législatives du 7 juillet 2024, macronistes et gauchistes forment un Front Républicain et se désistent mutuellement les uns pour les autres. La majorité reste en place, quels que soient le résultat réel des élections et le vœu du peuple.
Le décret des deux tiers, soumis à un plébiscite, recueille 167.758 oui contre 95.373 non. Mais il y a quatre millions d’abstentions.
Les royalistes, enhardis par ce chiffre d’abstentions, décident de recourir aux armes et de s’emparer du pouvoir par un coup de force. Ils pactisent avec les " Ventres creux " et préparent une insurrection.
L’insurrection commence les 11 et 12 Vendémiaire, 3 et 4 octobre 1795: sonneries de tocsin, appel aux armes, rassemblements. Près de 20.000 hommes prennent les armes contre la Convention. Barras choisit comme aide de camp le général de brigade Bonaparte, alors sans emploi, qu’il connaît depuis le siège de Toulon.
Les insurgés occupent le Pont-Neuf et se forment en deux colonnes pour attaquer les Tuileries.
13 Vendémiaire, 5 octobre 1795. L’initiative de Bonaparte décide du sort de la bataille. Avec ses quarante canons habilement disposés, il mitraille les " collets noirs ", c’est-à-dire les royalistes menés par le général Danican. Il y a environ 300 morts sur les marches de l’église Saint-Roch. Les attaques royalistes sur la rive droite et sur la rive gauche de la Seine sont arrêtées. Les insurgés se défendent dans les petites rues avec acharnement, et sont finalement refoulés. La Convention sort victorieuse de l’insurrection royaliste.
Bonaparte devient général de division, puis chef de l’Armée de l’Intérieur. Il rétablit l’ordre et désarme la population. La fortune de Bonaparte date du 13 Vendémiaire. Pour les royalistes, il sera le " général Vendémiaire".
En 2018-2019, lors des journées Gilets jaunes, Macron n’ose pas mitrailler pas la foule, mais réprime les manifestants avec la plus grande violence. Il donne des ordres pour que l’armée soit interposée entre les Gilets jaunes d’une part, et le Palais Bourbon et l’Élysée d’autre part, avec éventuellement la possibilité de tirer à balles réelles, ce que les responsables militaires refusent.
Le but est le même: éliminer les opposants par tous les moyens, écarter le peuple méprisé.
Thermidoriens et Républicains macronistes, libéraux, centristes, gauchistes vivent dans le faste, l’abondance, la jouissance, la volupté, l’opulence, la prospérité, piétinent et rabaissent le peuple, et veulent conserver ce pouvoir qui leur offre tous les privilèges, sans fatigue et sans efforts.
La Plaine thermidorienne et la Plaine macronienne, même hypocrisie, mêmes appétences, même despotisme.
Jean Saunier – (paru le 17 juillet 2024)