Face à un système politique qui est en pleine fuite en avant, nous lançons trois batailles décisives en cette rentrée. La création d’un dossier sur l’héritage noir de Robert Badinter,…
L’entrée au Panthéon de Robert Badinter a eu lieu ce 9 octobre. Ces dernières semaines, Polémia vous a proposé de nombreux articles montrant à quel point le bilan de Robert Badinter était catastrophique, rendant impensable sa panthéonisation.
Pour clore ce "Dossier Badinter", voici un entretien avec Jean-Louis Harouel, professeur agrégé d’histoire du droit, spécialiste des institutions et des idées juridiques. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Libres réflexions sur la peine de mort, qui explore avec finesse et sans tabou les enjeux historiques et philosophiques de ce sujet. Sa carrière académique est marquée par une érudition rigoureuse et une approche critique des questions juridiques et sociétales.
UNE PREFERENCE POUR LES ASSASSINS
Polémia: La peine de mort a été abolie en France il y a 44 ans. Comment avez-vous vécu cet événement politique à l’époque?
Jean-Louis Harouel: J’ai eu immédiatement conscience que cette abolition aboutissait à faire passer la vie des assassins avant la vie des innocents. J’ai tout de suite compris que le vice fondamental de l’idéologie abolitionniste est qu’elle repose sur une préférence pour les assassins, ce qui est une grande injustice envers la population d’un pays. J’y ai beaucoup réfléchi et j’ai consacré plusieurs travaux universitaires à cet amour des assassins. Et, en janvier 2007, au moment où l’abolition allait être inscrite dans la Constitution, j’ai publié dans Le Figaro une tribune expliquant que la peine de mort était nécessaire et légitime.
Polémia: Selon vous, quelles ont été les conséquences de l’abolition de la peine de mort en France?
Jean-Louis Harouel: L’abolition a ébranlé tout l’édifice de la justice criminelle en lui enlevant sa clé de voûte. Agissant comme une onde de choc, la suppression de la peine de mort a délégitimé par contrecoup toutes les autres peines, si bien qu’elle a été génératrice à tous les niveaux d’une impunité toujours plus grande des criminels et des délinquants. De sorte que la justice est devenue créatrice d’insécurité. L’abolition de la peine de mort et plus généralement l’humanitarisme judiciaire ont engendré une barbarie dont souffre grandement la population française et dont Robert Badinter est en grande partie responsable.
D’ailleurs, comme il l’a avoué dans un de ses livres (L’exécution, 1973), il n’avait pas le sentiment que la défense des assassins fût simplement son "métier" d’avocat, il ne se sentait pas "au fond" du côté "des honnêtes gens, des victimes". Ce qui revient à dire que, sans ignorer la peine des proches des victimes, Robert Badinter se plaçait clairement du côté des assassins, qui étaient pour lui les seules vraies victimes.
J’ajouterai que la peine de mort était tout particulièrement protectrice de la vie des policiers. En vertu d’une règle non écrite, un "tueur de flic" était toujours condamné à mort et exécuté. Si bien que le monde de la criminalité avait le plus grand respect pour la vie des policiers.
Depuis l’abolition de la peine de mort, il n’existe plus de message dissuasif adressé à ceux qui pourraient commettre des violences envers des agents de la force publique au risque de les tuer. Le résultat est qu’aujourd’hui, policiers et gendarmes sont couramment l’objet de violences pouvant entraîner la mort et, dans plus d’un cas, visant à la donner.
LE DEDAIN DE ROBERT BADINTER POUR LE PEUPLE
Polémia: Comment décririez-vous la personnalité de Robert Badinter, devenu une figure emblématique de l’abolition de la peine de mort?
Jean-Louis Harouel: Parfaitement conscient que l’abolition de la peine de mort eût été " contraire au sentiment général des Français ", l’avocat d’assises Robert Badinter affichait dans les années 1970 son mépris pour " la vindicte populaire " et affirmait qu’il fallait " braver le sentiment commun ", et qu’en le faisant un homme d’État " inscrirait son nom dans l’Histoire " (L’exécution). Cela est emblématique du dédain envers les gens ordinaires professé par les dévots de l’humanitarisme judiciaire. Cette conviction élitiste et méprisante d’avoir le monopole du Bien évoque la franc-maçonnerie, laquelle apparaît à beaucoup d’égards comme le temple du mépris progressiste envers le peuple, d’où son extrême hostilité à l’idée de décision populaire par referendum.
Plus profondément encore, cela renvoie à de très vieilles hérésies – la gnose et le millénarisme –, d’où vient la certitude d’appartenir à une étroite phalange de justes ayant pour mission sainte de diriger la masse aveugle des hommes vers la lumière de l’avenir radieux. C’est dans cet état d’esprit que Robert Badinter, devenu garde des Sceaux grâce au raz-de-marée socialiste de 1981, a présidé à l’abolition de la peine de mort, dans une posture de grand prêtre de l’humanitarisme judiciaire.
Polémia: Dans votre ouvrage Libres réflexions sur la peine de mort, vous évoquez souvent une idéologie anti-pénale. Quels sont les fondements de ce courant de pensée dans lequel s’inscrit Robert Badinter?
Jean-Louis Harouel: Le refus de la peine de mort se fonde sur une idéologie (aux origines gnostico-millénaristes) qui veut voir dans les criminels les victimes innocentes d’une société mal faite, une idéologie qui relègue au second plan la personne assassinée, c’est-à-dire la véritable victime. C’est une idéologie anti-pénale qui va bien au-delà de l’abolition de la peine de mort. Dès lors que le criminel n’est qu’une victime innocente de la société, celle-ci perd son droit de le châtier. Elle a en revanche le devoir de soigner en lui un être blessé par elle. Provoquant un désarmement de l’État face au crime, cette idéologie refuse à la société le droit de punir et ne s’intéresse qu’au délinquant et à sa réadaptation sociale, laquelle devient l’objectif prioritaire du système pénal. On reconnaît évidemment dans tout cela la doctrine de la "Défense sociale nouvelle" de Marc Ancel, qui refuse l’idée même d’une neutralisation des individus dangereux pour la société, ce qui non seulement exclut la peine de mort mais encore entraîne une forte réticence envers l’emprisonnement.
Pour cette doctrine, la peine devient un "traitement" pénal conçu sur le modèle d’un traitement médical, censé favoriser au maximum la resocialisation du condamné. Avec bien évidemment pour conséquence la prohibition d’un emprisonnement véritablement perpétuel.
Cette idéologie anti-pénale n’est au demeurant qu’une facette de la religion séculière qui a remplacé le communisme comme utopie censée instaurer le bien sur la terre: la religion des droits de l’homme. Celle-ci a pour effet l’extension illimitée des droits de ceux qui se considèrent, ou sont considérés, comme discriminés et donc comme des victimes de la société.
Cela inclut les délinquants et les criminels, dans lesquels l’idéologie droits-de-l’hommiste se refuse à voir des coupables, mais seulement des victimes. C’est au nom de cette idéologie anti-pénale que Badinter a combattu avec acharnement la peine de mort et arraché son abolition. Celle-ci a créé en faveur des assassins un nouveau droit de l’homme: le droit de pouvoir tuer sans avoir ensuite à risquer sa propre vie devant la justice. C’est un droit de l’homme profondément immoral, destructeur du pacte social, très nuisible à la société.
VERS UN RETABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT?
Polémia: Aujourd’hui, aucun parti politique ne propose explicitement le rétablissement de la peine de mort. Comment l’expliquez-vous?
Jean-Louis Harouel: Il y a bien sûr le fait que, pour verrouiller l’abolition, les autorités françaises ont dépossédé les citoyens français de la question de la peine de mort, en gravant son refus dans le marbre de la Convention européenne des droits de l’homme (2002) et de la Constitution (2007). Mais la cause principale est sans doute que l’Église a prononcé récemment une condamnation sans appel de la peine de mort. Cela ne peut que gêner les partis de droite et les dissuader de prôner explicitement son rétablissement, même si la majorité des Français y est favorable.
Or, depuis deux millénaires, l’Église avait pratiquement toujours considéré la peine de mort comme une prérogative légitime de l’État. Son actuel rejet de la peine de mort ne vient pas d’une plus grande fidélité au christianisme mais de l’influence de l’idéologie progressiste ambiante. En inscrivant dans le catéchisme la condamnation de la peine capitale, l’Église s’est mise à la remorque de la religion des droits de l’homme.
Ce n’est pas sous l’influence du christianisme que les États européens refusent avec horreur la peine de mort, c’est parce que la religion des droits de l’homme est aujourd’hui la religion officielle des États et de l’UE, sur fond d’implosion des croyances et de la pratique religieuse chrétiennes. Inversement, si la peine de mort s’applique toujours aux États-Unis, c’est que la foi chrétienne y reste forte. L’horreur de la peine de mort est l’une des conséquences de la profonde déchristianisation de l’Europe occidentale.
Entretien avec Jean-Louis Harouel
11/10/2025