"Ils viennent d’un autre temps, d’un autre ciel. Ce sont les derniers fidèles d’une austère religion, celle du courage… Seuls, ils échappent au grotesque d’une époque dérisoire. Ils viennent d’un monde où on ne triche pas… Ils sont de l’espèce qui se rase pour mourir. Ils croient à la rédemption de l’homme par la vertu de l’exercice et du pas cadencé. Ils cultivent la forme physique et la belle gueule. S’offrent le luxe des réveils précoces dans les matins glacés et des marches harassantes pour la joie de s’éprouver. Ce sont les derniers poètes de la gratuité absolue". (Dominique Venner)
Le vendredi 3 octobre, sur "Cnews", j’ai regardé l’émission "Face à Philippe de Villiers". Ce dernier a consacré son apologue à Saint-Michel, le saint patron des paras, et pour clore son propos, il a fait diffuser la version chantée de "La prière du para" (1). Était-ce un clin d’œil de l’histoire?
Je venais de fêter la Saint-Michel à la Citadelle "Général Georges Bergé" (2), caserne du 1er RPIMa (3). J’en parlais dans mon article d’hier et, devant les interrogations de quelques amis, j’ai envie d’en reparler aujourd’hui, de rendre hommage à des soldats d’élites trop méconnus du grand public.
Quelques milliers de parachutistes, destinés à l’Indochine puis à l’Algérie, ont été formés à la Citadelle de Bayonne avant que le 1er RPIMa ne l’occupe en 1960. Depuis 1960, Bayonne est restée la ville de garnison du 1er RPIMa, et les Bayonnais sont très attachés à leur régiment.
Le 1er RPIMa est l’une des unités les plus décorées de France et les hommes qui servent dans ce régiment, bien qu’ils cultivent la discrétion, méritent qu’on parle d’eux. Ils sont les dignes héritiers des premières demi-brigades SAS (4) qui se sont battues en Crète, à Benghazi, sur le front libyen, en Cyrénaïque, en Tunisie…
Ils descendent en droite ligne du "Bataillon du ciel" largué à Plumelec le 6 juin 1944 à 0h40. Disons un mot de leur chef, ce personnage hors normes qu’était le commandant Pierre-Louis Bourgoin: Lieutenant de réserve en 1939, Bourgoin rejoint dès juin 1940 les Forces Françaises Libres. Il participe ensuite à la campagne de Syrie, en juin 1941, et y est blessé au pied droit par un éclat d’obus.
En mars 1942, il est à nouveau blessé par balle, au genou. En juin 1942, il survit à un crash d’avion mais souffre de fractures multiples. Mais rien n’arrête ce héros: il effectue un stage commando parachutiste, puis est affecté aux services secrets britanniques. Il réalise, à la tête de son commando, des coups de mains en Tunisie.
En décembre 1942, il reçoit la mission de désorganiser les arrières de l’ennemi. Le 19 février 1943, avec son groupe, il traverse les territoires occupés par deux ou trois divisions allemandes, situe l’emplacement de pièces d’artillerie, détruit un pont d’une importance primordiale pour l’ennemi et ramène son groupe au complet.
Alors qu’il se rend en Algérie, le 23 février 1943, au retour d’une mission, son véhicule est mitraillé par un avion allemand. Bourgoin porte… 37 blessures et il est amputé du bras droit. Son bras gauche a trois fractures. Il réussit à échapper aux Allemands en s’enterrant dans le sable et est recueilli par une patrouille anglaise.
Il est soigné à l’hôpital de Philippeville et part en Angleterre, le 1er octobre 1943, après sept longs mois d’hospitalisation. Surnommé le manchot, il est nommé commandant. Fin 1943, il prend le commandement du 4ème Régiment du Spécial Air Service, une unité française de 500 hommes qui deviendra, en 1944, le 2ème RCP (5).
En vue du débarquement, il entraîne son régiment en Angleterre, puis en Écosse. À partir de la nuit du 5 au 6 juin 1944, son régiment est parachuté en Bretagne afin d’y fixer les troupes allemandes présentes sur place. Lui-même est largué, à sa demande et malgré son handicap lourd, avec un parachute bleu-blanc-rouge, cadeau des Anglais, dans la nuit du 10 juin, à côté de Saint-Marcel, en Bretagne.
L’un de ses hommes, le caporal Émile Bouétard, probable premier tué du débarquement, était un parachutiste français.
Ces parachutistes, on va les retrouver dans les combats de la Libération et lors de l’opération Amherst, aux Pays-Bas, en avril 1945. Les paras iront ensuite se faire tuer – nombreux – dans les rizières d’Indochine, puis du 13 mars au 7 mai 1954, des bataillons entiers disparaîtront à Diên-Biên-Phu.
Ils obtiendront, plus tard, une victoire-éclair lors de l’Opération Mousquetaire à Suez en 1956, sous les ordres de chefs prestigieux comme Massu et Château-Jobert.
Ils gagneront la bataille d’Alger en 1957, puis, en avril 1961, beaucoup d’entre eux choisiront "les voies de l’honneur " pour ne pas trahir la promesse de conserver l’Algérie française.
Viendra, ensuite, la génération de parachutistes des Opex (6); elle saura se monter digne de ses grands anciens, ceux-là même qu’elle honore dans un chant de tradition:
"Nos anciens ont souffert sur la piste
Comme des chevaliers et des preux
Dans ton cœur sois le parachutiste
Toujours prêt à faire aussi bien qu’eux… "
De 1969 à 1972, le régiment (7) formait ses paras pour les envoyer au Tchad. La France soutenait le régime corrompu de François Tombalbaye. Là-bas, les commandos de la 6ème CPIMa (8) ont eu une soixantaine de blessés et 26 tués. Le 23 mai 2014, l’Amicale des Eléphants Noirs – les anciens de la 6ème CPIMa – inaugurait une stèle dans la Citadelle à la mémoire de ses morts (8).
Puis, jusqu’aux printemps arabes, les opérations extérieures à caractère offensif ont cessé à l’exception de celle du 2ème REP sur Kolwezi en 1977, avant la guerre du Golfe et les Opex actuelles. Entre temps, nos dirigeants, socialistes ou assimilés, ont inventé les soldats de la paix ce qui nous a amenés à certaines situations catastrophiques (entre autres, l’affaire du Drakkar qui coûta la vie à 58 parachutistes français): des missions d’interposition entre belligérants, à caractère défensif ou d’observation, sous la bannière de l’ONU ou d’une force internationale.
Depuis les printemps arabes, la déstabilisation de toute l’Afrique subsaharienne a amené la France, peu aidée par ses alliés européens, à reprendre des opérations offensives mais elle le fait avec des moyens dérisoires: notre armée est réduite à une peau de chagrin. Nos soldats n’en sont que plus héroïques!
Les paras sont revenus au Tchad en 1983-84, avec d’autres soldats français, pour l’Opération Manta. Puis l’Opération Épervier jusqu’en août 2014, puis l’Opération Barkhane, etc. Mais depuis, on nous a virés de toutes nos anciennes colonies africaines.
Je suis assez mal placé pour vous parler du 1er RPIMa depuis qu’il est l’une des unités de nos Forces Spéciales, d’autant plus que ses missions se doivent de rester confidentielles. Nos Forces Spéciales font notre fierté; elles sont citées en exemple dans le monde entier et leurs hommes sont prêts à risquer leur vie dans les missions les plus périlleuses.
De nos jours, quand un soldat du 1er RPIMa tombe en mission, personne n’en parle: la discrétion est de mise au sein de nos Forces Spéciales. Aujourd’hui, l’occasion m’est donnée de rendre hommage à tous ces paras tombés dans les coins parfois les plus improbables, sans tapage, sans faire parler d’eux, sans déranger la quiétude, le train-train quotidien et la bonne conscience des embusqués et des bourgeois.
Maurice Barrès disait: "Un régiment, c’est un nouvel être. Il a une tête, le chef; des muscles, les hommes; un système nerveux, qui est le cadre. C’est une bonne définition de ce qu’est un Corps de troupe: une entité solide où chacun a sa place et sait tenir son rang. Dans un pays en pleine déliquescence, l’armée, bien qu’en sous-effectif et sous équipée, reste une valeur sûre.
Eric de Verdelhan
1)- Ce chant magnifique est devenu celui de l’École Militaire Interarmes (EMIA).
2)- Elle est baptisée Citadelle général Georges-Bergé depuis le 15 septembre 1999.
3)- RPIMa: Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine
4)- Spécial Air Service: unités crées en Angleterre dès 1940.
5)- 2ème Régiment de Chasseurs Parachutistes
6)- Opex pour Opérations Extérieures
7)- Ainsi que le 8ème RPIMa de Castres.
8)- Cette stèle comporte 27 noms. Le 27ème est tombé le 19 février 1964, à Libreville, au Gabon: il s’appelait Serge Arnaud. Lui aussi est mort à 20 ans, mais ailleurs et avant les autres.