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La Démocratie est-elle un modèle idéal?

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Au cours d’un entretien avec Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, pour Causeur, Marcel Gauchet vante la démocratie occidentale. Ce qui est mieux chez nous qu’ailleurs "L’invention de la démocratie et de tout ce que cela signifie comme univers social, intellectuel, culturel, au-delà de la vie politique. Et c’est précisément parce que ce modèle n’est pas voué à l’universalisation automatique qu’on doit le défendre… Dans beaucoup de pays d’Asie ou d’Afrique, les conditions sociales, intellectuelles, culturelles de la démocratie ne sont pas réunies…

Tout le monde aspire à la liberté individuelle, personne ne veut être jeté arbitrairement en prison… L’Europe est le continent de la sortie de la religion: l’empreinte normative de celle-ci s’est peu à peu évanouie partout, laissant la place à un système de liberté individuelle démultipliée…".

Autrement dit, pour Marcel Gauchet, la démocratie occidentale est le modèle parfait. En Occident seulement, les conditions sociales, intellectuelles et culturelles permettent l’établissement de la démocratie, et pas ailleurs dans le monde. La démocratie libérale et la sortie de la religion ont entraîné la démultiplication des libertés et le développement technique. Démocratie est donc synonyme de liberté, d’idéal politique, de niveau de vie. Est-ce vraiment le cas? L’exemple de la démocratie en Grèce à Athènes va nous aider à répondre à cette question.

Dans la Grèce antique, au temps de Périclès (495-429 avant Jésus-Christ), tous les citoyens étaient égaux en droits et participaient au gouvernement et à l’administration. Ce gouvernement d’un Etat par le peuple et au profit du peuple s’appelle la démocratie. Périclès dit:

"La Constitution qui nous régit a reçu le nom de démocratie, parce que son but est l’utilité du plus grand nombre et non celle d’une minorité".

Aristote (384-322 avant Jésus-Christ) résume en ces termes le fonctionnement de la démocratie:

"Il faut que les magistrats soient élus par tous ou tirés au sort; que les dignités ne soient point distribuées par le chiffre de la fortune; que les fonctions ne soient jamais de longue durée; que tous les citoyens soient appelés à juger dans les tribunaux; enfin que la décision de toutes choses dépende de l’Assemblée générale des citoyens".

C’est ainsi que les choses se passent à Athènes. Tout citoyen, quelle que soit sa naissance et sa fortune, peut arriver aux honneurs, car les Archontes, les Sénateurs et les Juges sont tirés au sort chaque année. Tout citoyen participe au gouvernement, car il décide par son vote de toutes les lois qui régissent Athènes et son empire. Il a encore droit à l’aisance, car pour permettre aux plus pauvres l’accès de toutes les charges, on imagina de rétribuer les fonctions publiques et même la présence à l’Assemblée; en sorte que remplir ses devoirs de citoyen fut un véritable métier pour l’Athénien.

Ainsi, les citoyens sont au cœur des institutions. La démocratie est la liberté d’intervenir dans la vie et la politique de la cité. Athènes est une démocratie directe: tous les citoyens se réunissent dans une Assemblée, l’Ecclésia, où ils décident de la politique de la cité par vote à main levée. Cette Assemblée puissante possède la souveraineté.

Mais les citoyens ne sont qu’une minorité par rapport à la population totale de la cité.

En -431, sur les 380.000 habitants d’Athènes, seuls 42.000 sont citoyens, soit 11% de la population. La majorité est donc exclue de la citoyenneté, presque 90%: les métèques, hommes libres étrangers à la cité, les esclaves, hommes non libres, considérés comme des objets, les femmes, exclues de toute vie publique, les garçons de moins de 18 ans.

Les citoyens défendent la cité, gèrent la cité, organisent la vie religieuse et culturelle de la cité. Mais ce régime politique, toujours menacé, se stabilise avant de disparaître. La démocratie ne profite qu’à une minorité de citoyens: les plus riches, les grands propriétaires terriens disposent de temps libre pour assister aux assemblées grâce au travail de leurs esclaves et des métèques. Les autres, paysans et artisans, n’ont ni le temps, ni les moyens de se rendre à Athènes pour siéger à l’Ecclésia.

À la fin du Ve siècle, sur environ 42 000 citoyens, seuls 6 000 assistent régulièrement aux Assemblées.

Les auteurs de comédie dénoncent les dérives de la démocratie athénienne, comme Aristophane (445-380 avant Jésus-Christ). Ils critiquent les hommes politiques qui ont appris l’art de la parole auprès des sophistes, professeurs qui enseignent à prix d’or comment convaincre un auditoire pour obtenir le pouvoir.

On reproche à ces orateurs d’être des démagogues, c’est-à-dire de flatter les citoyens, de leur mentir pour les persuader. Ainsi, Périclès a été réélu 20 fois stratège. On reproche aussi à certains magistrats d’être incompétents et corrompus.

La démocratie est un système fragile. L’oligarchie, la ploutocratie, et la tyrannie menacent toujours la démocratie athénienne. L’oligarchie, un petit groupe de personnes dirige l’Etat. La ploutocratie, les riches dominent l’Etat. La tyrannie, un homme prend le pouvoir par un coup d’Etat et dirige seul le pays.

En -411 et -404, des oligarques profitent de la défaite d’Athènes contre Sparte et s’emparent du pouvoir.

Au IVe siècle avant Jésus-Christ, la démocratie sauvée prend des mesures contre ceux qui la critiquent. Socrate (470-399 avant Jésus-Christ) est condamné à mort. Les auteurs de théâtre changent de sujets.

Les citoyens se détournent de leurs obligations militaires et civiques. Démosthène, homme d’Etat, (384-322 avant Jésus-Christ), s’inquiète de la perte de l’esprit civique. La cité doit employer des mercenaires pour se défendre. En -338, Athènes perd la guerre face à Philippe de Macédoine.

En -322, la démocratie athénienne est remplacée par une oligarchie.

Dans le livre VIII de la République, Platon (428-348) décrit la démocratie athénienne pourrie qui sombre dans l’anarchie et s’affirme conne antidémocratique. Pour Platon, la démocratie est le régime de l’inversion des valeurs, un régime ivre de liberté, qui ne parle que de liberté, mais se montre oppressif.

Les gens ne parlent que de liberté, sont altérés de liberté. La démocratie s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence. Elle trouve dans ses chefs de mauvais échansons, officiers qui servaient à boire aux princes, aux rois. Les gouvernants ont l’air de gouverner. Le métèque devient l’égal du citoyen. A l’école, le maître craint ses élèves et les flatte. Les vieillards s’abaissent aux façons des jeunes gens, les vieillards jouent à être jeunes. Les esclaves font la loi à la maison. Le divertissement passe avant les métiers. Les gens s’indignent, se révoltent, manifestent, mais sans lendemain. La démocratie est un gouvernement beau et juvénile.

Pour Platon, l’homme démocratique est avant tout celui qui confond les désirs superflus et les désirs nécessaires. Les désirs nécessaires sont des nécessités naturelles: nous ne pouvons ni les retrancher, ni les réprimer. Il nous est utile de les contenter.

Les désirs superflus sont nuisibles au corps et à l’âme, à la raison et à la tempérance. Par exemple, le désir de toutes sortes de mets et de ragoûts. Nous pouvons les réprimer, et même les retrancher par une bonne éducation.

L’homme démocratique, ne distingue pas les plaisirs superflus des plaisirs nécessaires, se livre aux uns et aux autres. Pour les satisfaire, il n’épargne ni son bien, ni ses soins, ni son temps. Un désir assouvi, il passe sous l’emprise d’un autre, et ainsi de suite. Il ne rebute aucun désir et les favorise tous également.

Des plaisirs vont à la suite de désirs innocents et légitimes. D’autres plaisirs sont le fruit de désirs criminels et défendus. Il faut rechercher et estimer les premiers. Il faut réprimer et dompter les seconds. Si quelqu’un dit cela à l’homme démocratique, il ferme toutes les portes de la citadelle à ces sages maximes, et répond par des signes de dédain. Il soutient que tous les plaisirs sont de même nature et méritent également d’être étanchés et comblés.

L’homme démocratique vit donc au jour le jour. Le premier désir qui se présente est le premier satisfait. Aujourd’hui, il fait ses désirs de l’ivresse et des chansons bachiques (relatives à Bacchus, dieu romain du vin). Demain, il jeûnera et ne boira que de l’eau. Tantôt, il s’exerce au gymnase, tantôt, il est oisif et ne se soucie de rien. Quelquefois, il est philosophe. Le plus souvent, il est homme d’Etat, il monte à la tribune, il parle et agit sans savoir ni ce qu’il dit, ni ce qu’il fait. Un jour, il porte envie à la condition des gens de guerre, et le voilà devenu guerrier. Un autre jour, il se jette dans le commerce.

En un mot, il n’y a dans sa conduite rien de réglé. Il ne veut être gêné de rien et il appelle la vie qu’il mène une vie libre, agréable, une vie de bienheureux. Telle est la peinture au naturel d’un ami de l’égalité.

Platon attribue la naissance du despotisme à une transformation dans l’esprit même de l’homme démocratique. L’homme démocratique enivré finit par confier le pouvoir à des individus qui en viendront à le gouverner et à le rendre esclave.

En effet, la démocratie née en vue de l’égalité transforme rapidement ce projet en une "ivresse" égalitariste. Elle favorise l’émergence d’un homme démocratique bigarré, c’est-à-dire diversifié, hétéroclite, un homme démocratique qui ne sait plus diversifier ses désirs.

La démocratie installe une société qui égalise toutes les valeurs en ignorant les êtres d’exception et de valeur. La société crée à son insu un véritable esclavage, l’esclavage du désir.

Dès lors, Platon indique: "L’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude et dans l’individu et dans l’Etat".

Ce désir incontrôlé finit par faire peur aux riches qui craignent une nouvelle révolution. Ils prennent la parole devant le peuple et décident d’employer " tous les moyens qui seront en leur pouvoir " afin de gouverner ce peuple et le dominer en l’abusant, en lui faisant perdre progressivement tout sens critique.

Affaibli intellectuellement, incapable de bon jugement, "le peuple finira par prendre l’habitude de mettre à sa tête un homme dont il nourrit et accroît la puissance".

Cet oligarque finira par s’enivrer peu à peu de son pouvoir. "Dans les premiers jours, il sourira et fera bon accueil à tous ceux qu’il rencontrera, promettra beaucoup et en particulier en public… affectera d’être doux et affable envers tous… Mais ensuite, il suscitera des guerres pour que le peuple ait besoin de guerres… et pour que les citoyens appauvris par les impôts soient obligés de songer à leurs besoins quotidiens et conspirent moins contre lui…".

Le tyran se comportera comme le mauvais médecin, car, alors que le bon fait " disparaître ce qu’il y a de mauvais en laissant ce qu’il y a de bon, lui fera le contraire ".

Il videra peu à peu la cité de ses meilleurs éléments, pour mettre au contraire en évidence ceux qui sont de piètre qualité morale et intellectuelle.

La tyrannie arrive à la fin de la démocratie. La loi du plus fort est exercée par tous les hommes entre eux sous une forme anarchiquement constituée d’un ensemble de petits tyrans. Une oligarchie-ploutocratie concentre à elle seule tous les pouvoirs.

Selon Platon, il y a une loi de succession des régimes. Une logique interne gouverne la marche des régimes. On passe de l’un à l’autre selon cette logique. Cette loi n’est pas un progrès, mais une dégénérescence, une loi de corruption et de décadence: " Tout ce qui naît est soumis à corruption ". La démocratie se trouve à la fin du parcours et donne naissance à la tyrannie.

Platon distingue cinq régimes possibles dans l’ordre suivant.

L’aristocratie: les gouvernants sont philosophes, le pouvoir et la sagesse sont réunis en une seule main. La timocratie fondée sur l’honneur.

L’oligarchie fondée l’appétit des richesses.

La démocratie fondée sur l’égalité des riches et des pauvres: le gouvernement du peuple par le peuple.

La tyrannie fondée sur le désir, négation de la politique, car il y a absence de lois, le pouvoir absolu est conquis par la force et illégalement, après un coup d’Etat, souvent grâce à la faveur populaire.

Selon Platon, la démocratie est l’un des plus mauvais régimes. Elle est incapable de faire régner la justice dans la Cité. Elle doit inévitablement se transformer en anarchie. Pour cette raison, elle donne naissance à la tyrannie. Chacun se conduit comme il convient. La démocratie mène au désordre et à l’immoralité. La liberté de tous, qui en est le fondement, c’est la licence, le droit de faire tout ce qu’on veut.

Au lieu de libérer, la liberté se retourne contre ceux qui l’invoquent. Au lieu de libérer, la liberté asservit les libertaires au déferlement de leurs désirs.

Une autre critique concerne l’ignorance du peuple. La foule, prisonnière des apparences, des préjugés, est incapable d’accéder à la science du philosophe, incapable de gouverner, ou de se gouverner elle-même. La liberté totale enchaîne et aliène les individus. L’égalité totale renforce les inégalités. D’où l’inversion des valeurs.

Que d’analogies, que de similitudes entre la démocratie athénienne et la "démocratie" libérale occidentale, plus particulièrement la "démocratie" macronienne.

Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, dans les textes et dans les discours.

La démocratie ne profite qu’à une minorité de citoyens, les ultra-riches.

Les hommes politiques ont appris l’art de la parole, flattent et mentent pour convaincre le peuple.

Les magistrats sont incompétents et corrompus.

L’oligarchie, la ploutocratie, la tyrannie menacent.

La " démocratie " prend des mesures contre les dissidents.

La " démocratie " pourrie s’affirme antidémocratique.

L’inversion des valeurs est généralisée, l’ivresse de liberté masque l’oppression et la sujétion.

Des opportunistes se couchent devant les princes dirigeants.

Les étrangers deviennent égaux, voire supérieurs aux citoyens de souche.

A l’école, au collège, au lycée, le maître est dépassé par les événements.

Les vieux jouent au jeunisme.

Le divertissement occupe une place prépondérante.

Les gens manifestent, pétitionnent, pour du beurre, pour les beaux yeux du président qui s’en fout.

Les élites démocratiques font appel aux jeunes.

L’homme démocratique s’abandonne à tous ses désirs, en toute impunité: drogue, pédocriminalité, transgenrisme… et devient esclave du désir.

L’homme démocratique veut jouir sans entraves.

L’homme démocratique confie le pouvoir à des élus qui l’asservissent.

La démocratie transforme le projet d’égalité en frénésie égalitariste.

Le relativisme égalise les valeurs et les individus: plus de bien, plus de beau, plus de héros.

Les gouvernants monopolisent la parole et tuent l’esprit critique.

Le peuple, déculturé indigent, privé d’esprit, dépouillé de pensée, dénué de jugement, élit des idéologues fanatiques, endure un traitement inhumain, et supporte toutes les dérives.

Le " démocrate " oligarque au pouvoir fait de belles promesses, affecte la douceur.

Il engage des collaborateurs dépourvus de morale, de culture, d’intellect, et déjà conditionnés.

Ces tyranneaux concentrent tous les pouvoirs.

La corruption, la décadence, la dégénérescence, engendrent la tyrannie.

Le tyran fait disparaître tout ce qu’il y a de bon, et laisse tout le mauvais.

Aujourd’hui, en plus, les candidats aux élections sont choisis par le système et imposés à l’avance au peuple.

Désordre, immoralité, licence, anarchie, crimes quotidiens, violence gratuite impunie, liberté aliénante, égalité inégalisante, caractérisent ce régime prétendu démocratique, en fait tyrannique. Macron, en bon stratège, et certainement aiguillonné par plus puissant que lui, a fortement contribué à installer un tel régime.

Jean Saunier

 

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