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Il n’y a pas de sens de l’histoire sociétal

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Inscrire dans la Constitution un principe de “non-régression sociétale” témoignerait d'une régression démocratique.

Par Laurent Dandrieu

C’est l’histoire d’un mec, aurait dit Coluche, qui a été sur le devant de la scène, qui souffre de n’y être plus et qui dirait n’importe quoi pour y revenir. Ainsi pourrait-on raconter, sur le mode burlesque, l’histoire de la proposition qu’a faite Gabriel Attal à l’occasion de sa rentrée politique. Inscrire dans la Constitution " un principe de non-régression sociétale ", c’est faire du progressisme dans une très vieille outre – lorsqu’on se trouve dans une impasse ou que l’on n’a plus rien à dire, compter sur la surenchère sociétale pour se refaire une santé.

C’est d’ailleurs le principal moteur des fameuses “avancées sociétales”, qui procèdent souvent moins d’une logique d’émancipation que du désir des progressistes de masquer leur impuissance à améliorer la vie des gens en bottant en touche sur le terrain de la déconstruction anthropologique, et de la soumission des conservateurs, incapables d’assumer leur propre anthropologie.

UNE DISTANCE DE PLUS EN PLUS ASSUMEE

Si elle n’a pas soulevé l’enthousiasme espéré, l’idée de l’ancien Premier ministre n’en est pas moins révélatrice. D’abord, parce qu’elle témoigne de la distance de plus en plus assumée que prennent les politiques avec la démocratie. Car ce qu’il propose, " pour qu’aucune loi ne puisse revenir sur des droits, des progrès, des conquêtes obtenues de haute lutte ", et ce qu’ont voulu déjà ceux qui ont constitutionnalisé l’IVG, c’est de placer leur vision de la société hors de portée des aléas du suffrage, cadenassée par la protection du gouvernement des juges.

    Le peuple n’est souverain que si ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire demain.

Or, le peuple n’est souverain que si ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire demain. C’est exactement le contraire que veut Gabriel Attal: les tenants de la religion progressiste sachant, mieux que le peuple, ce qui est progrès et ce qui ne l’est pas, s’arrogeraient le droit de sanctuariser des sujets sur lesquels l’électorat n’aurait plus le droit de se prononcer.

LA RÉMANENCE D’UN MARXISME RÉSIDUEL

La seconde chose que révèle cette proposition, c’est la rémanence d’un certain marxisme résiduel à travers cette vieille hérésie du “sens de l’histoire”, qui fit jadis les beaux jours du communisme. Hérésie, parce que le sens de l’histoire est, encore une fois, une idée chrétienne devenue folle, la notion spirituelle d’une humanité régie par le plan divin de rédemption ayant dégénéré en l’idée temporelle d’une histoire gouvernée, selon les mots de Condorcet, par "les progrès de l’esprit humain", qui tendraient naturellement à un mouvement continu, linéaire et irréversible, vers toujours plus de droits et d’émancipation.

Le seul problème de cette religion révélée est qu’elle est fausse. D’une part, parce que le cerveau humain n’est pas si parfait qu’il puisse, infailliblement, savoir ce qui est un progrès et ce qui est une régression. Nombre de ceux qui avaient vu la libération sexuelle comme une avancée incontestable se sont avisés depuis, par exemple, que la liberté des femmes à disposer de leur corps ne faisait pas beaucoup de cas de celle de l’enfant à naître…

UNE DESTRUCTURATION DELETERE DES SOCIÉTÉS

D’autre part, le renouveau actuel du conservatisme s’explique en grande partie par la prise de conscience que cette logique de l’émancipation sans limite induisait une déstructuration délétère des sociétés; que les sociétés avaient des droits, elles aussi, à la continuité historique, à la stabilité, à la transmission, droits souvent piétinés par la logique des droits individuels; et que le progrès n’était certainement pas d’aller vers toujours plus de droits si cela signifiait toujours moins de bien commun.

    Cette notion d’un sens de l’histoire est au cœur de l’ADN du progressisme et ne disparaîtra qu’avec lui.

Malheureusement, l’idée énoncée par Marcel Gauchet que l’écroulement des idéologies prométhéennes comme le marxisme entraînerait " l’écroulement de l’idée de l’histoire comme porteuse d’une nécessité intrinsèque qui conduit vers l’émancipation " s’est révélée fausse. Tout simplement parce que cette notion d’un sens de l’histoire est au cœur de l’ADN du progressisme et ne disparaîtra qu’avec lui.

À observer la résignation de bien des conservateurs devant chaque “avancée sociétale”, comme s’il était vain de s’opposer à la marche du monde, il apparaît évident que la droite elle-même est largement contaminée par cette hérésie et qu’il est temps que la pensée conservatrice remette le sens de l’histoire, sociétal ou pas, au placard des lubies progressistes dont il n’aurait jamais dû sortir.

L. DANDRIEU – Valeurs Actuelles

 

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