L'histoire a des allures de conte de fées. Dans un coin perdu de l'empire des Habsbourg, un garçon pauvre s'était réveillé un matin avec une dent en or…
Par Philippe Delorme Valeurs Actuelles
En juillet 1593, le pasteur du village de Weigelsdorf – aujourd’hui Ostroszowice en Basse-Silésie polonaise – note dans sa chronique paroissiale que l’une de ses ouailles, le jeune Christoph Müller, présente "une molaire dorée sur le côté gauche, à la mâchoire du bas, brillant magnifiquement par sa taille et sa forme" . L’enfant est le fils d’un meunier décédé depuis déjà longtemps. Âgé de 7 ans, il vient de perdre ses dents de lait et le “miracle” semble s’être produit aux alentours de Pâques…
Aussitôt, la nouvelle enflamme les imaginations. Le doyen de l’Academia Julia de Helmstedt, Jakob Horst, médecin ordinaire de l’empereur Rodolphe II, en tirera un traité de 145 pages, rédigé en latin et publié à Leipzig dès 1595, sous le titre De aureo dente maxillari pueri silesii – De la dent d’or du maxillaire d’un enfant silésien .
Adepte des théories de Paracelse, qui mêlent foi, hermétisme et astrologie, il écarte les explications démoniaques ou matérielles, comme la consommation de plantes contenant des sucs aurifères ou d’une eau chargée en particules métalliques. Il privilégie une intervention divine, via une conjonction du Soleil avec Saturne.
Un tel prodige annonce "la fin prochaine de la menace turque et l’avènement d’un millénaire de paix et de prospérité".
La dent merveilleuse n’était en réalité qu’une molaire banale
La controverse va faire rage durant une dizaine d’années et franchir les frontières de l’Allemagne, jusqu’à ce qu’un examen plus rigoureux montre que la dent merveilleuse n’était en réalité qu’une molaire banale, habilement recouverte d’une fine lame de cuivre plaquée d’or fin! Chef-d’œuvre d’orfèvre ou fraude volontaire? Les spécialistes actuels y voient le premier exemple d’une couronne dentaire en Europe.
Il faudra attendre 1687 pour que le philosophe français Bernard de Fontenelle, précurseur des Lumières, tire la morale de cette mystification, dans son Histoire des oracles . Narrant l’affaire sur le ton de la plaisanterie, il conclut: "Assurons- nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait; mais enfin nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point ".