Bientôt la guerre ethnique en France? (27/11/2025)

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Ce texte est le résumé et la traduction de deux articles intitulés " Guerre civile à l’Ouest " de David Betz • King’s College London, Département d’études sur la guerre Military Strategy Magazine, printemps et été 2022

PREMIERE PARTIE

L’Europe est un jardin

"Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait jamais réalisée — ces trois éléments ensemble… Le reste du monde, pour la plupart, est une jungle… "

C’est ce qu’a déclaré le chef des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, à Bruges en octobre 2022. Les futurs dictionnaires pourront citer cette déclaration comme un exemple parfait d’hybris.

En effet, la principale menace pour la sécurité et la prospérité de l’Occident aujourd’hui ne vient pas de l’extérieur, mais de son propre déclin: instabilité sociale désastreuse, déclin structurel et économique, appauvrissement culturel et, à mon avis, pusillanimité de ses élites. Certains universitaires ont commencé à tirer la sonnette d’alarme, comme Barbara Walter avec How Civil Wars Start—and How to Stop Them.

Pourtant, le domaine des études stratégiques reste largement silencieux sur la question, ce qui est étrange, car celle-ci devrait être une préoccupation majeure. Pourquoi est-il légitime de percevoir le risque croissant de conflits internes violents en Occident? Quelles stratégies et tactiques seront probablement employées dans les guerres civiles à venir, et par qui? Ce sont les questions que j’aborderai dans cet essai.

CAUSES

La littérature sur les guerres civiles s’accorde sur deux points. Premièrement, elles n’affectent pas les États riches. Deuxièmement, les nations dotées d’une stabilité gouvernementale en sont largement préservées. Il existe des nuances quant à l’importance du type de régime, mais la plupart des experts s’accordent à dire que les démocraties perçues comme légitimes et les autocraties fortes sont stables. Dans les premières, les citoyens ne se rebellent pas parce qu’ils font confiance au système politique pour fonctionner de manière globalement juste. Dans les secondes, ils ne le font pas parce que les autorités identifient et répriment les dissidents avant qu’ils n’aient une chance d’agir.

La factionnalisation est une autre préoccupation majeure, mais les sociétés extrêmement hétérogènes ne sont pas plus sujettes à la guerre civile que les sociétés très homogènes. Les coûts élevés de coordination entre les communautés dans les premières atténuent en effet la formation de mouvements de masse. Les sociétés les plus instables sont celles qui sont modérément homogènes, surtout lorsqu’un changement perçu dans le statut d’une majorité historique — ou d’une minorité significative — lui donne les moyens de se révolter seule. En revanche, dans les sociétés composées de nombreuses petites minorités, la stratégie du "diviser pour régner" peut être un mécanisme efficace de contrôle de la population.

Dès 1991, Arthur Schlesinger soutenait dans The Disuniting of America que le "culte de l’ethnicité" mettait de plus en plus en danger l’unité de la société. Cette analyse s’est révélée prémonitoire.

Prenons les conclusions frappantes du Baromètre de confiance Edelman au cours des vingt dernières années: " La méfiance est désormais l’émotion par défaut de la société". La situation aux États-Unis, comme le montrent des recherches connexes, est particulièrement préoccupante. En 2019, avant même l’élection contestée de Biden et l’épidémie de covid, 68% des Américains estimaient urgent de restaurer les niveaux de "confiance" dans la société et le gouvernement, la moitié d’entre eux affirmant qu’une  "maladie culturelle" était à l’origine de cette érosion.

Sur le plan sociologique, cet effondrement de la confiance reflète une chute du "capital social", qui agit à la fois comme une "super-colle" favorisant la cohésion sociale et comme un "lubrifiant" permettant à des groupes par ailleurs disparates de coexister. Personne ne conteste ce déclin, ni ses conséquences malheureuses.

Les désaccords portent plutôt sur ses causes. L’ancienne chancelière Angela Merkel a un jour pointé directement du doigt le multiculturalisme, déclarant qu’en Allemagne, il avait "totalement échoué" — une idée reprise six mois plus tard par le Premier ministre britannique David Cameron, qui a précisé:

"Il ghettoïse les gens en groupes minoritaires et majoritaires sans identité commune". De telles déclarations, émanant de dirigeants centristes de grands États occidentaux apparemment stables, ne peuvent être facilement rejetées comme de la démagogie populiste.

Par ailleurs, la "polarisation politique" a été amplifiée par les médias sociaux et la politique identitaire. La connectivité numérique tend à pousser les sociétés vers une profondeur et une fréquence accrues de sentiments d’isolement au sein de groupes d’affinité de plus en plus étroits. Chacun de ces groupes est protégé par des "bulles de filtres", des membranes idéologiques soigneusement construites et constamment renforcées par une curation active et passive de la consommation médiatique.

Ce que l’on pourrait décrire comme un "conflit inter-tribal" ne se limite pas aux espaces virtuels d’Internet; il se manifeste également par des affrontements physiques, dans un cycle d’auto-renforcement. De nombreux exemples récents pourraient être cités. Un cas emblématique est celui de la ville de Leicester, en Grande-Bretagne, où, au cours de l’année écoulée, des violences récurrentes ont opposé les populations hindoue et musulmane locales, animées par des tensions intercommunautaires importées du sous-continent indien. Une foule hindoue a ainsi défilé dans un quartier musulman en scandant "Mort au Pakistan".

Ce qui ressort avant tout de ces incidents, c’est le mépris considérable envers la "britannicité" en tant qu’aspect de la loyauté politique d’une fraction significative des deux plus grandes minorités du pays. Qui veut combattre qui, et pour quoi?

Dans ce cas précis, la réponse à cette question stratégique a très peu à voir avec la nationalité nominale des personnes qui ont déjà commencé à s’affronter.

À ce mélange social volatile s’ajoute une dimension économique, que l’on ne peut qualifier que d’extrêmement inquiétante. Selon une estimation largement partagée, l’Occident est déjà entré dans une nouvelle récession, récurrence longtemps redoutée de la crise financière de 2008, aggravée par les retombées de la désindustrialisation des économies occidentales. Un sous-produit notable de cette situation est la dé-dollarisation progressive du commerce mondial, accélérée par les sanctions contre la Russie, qui a également provoqué une hausse importante des coûts des biens essentiels, tels que l’énergie, la nourriture et le logement.

Sur le plan économique, l’Occident a atteint la fin d’un cycle marqué par la financiarisation, l’endettement et la consommation. Un fossé immense s’ouvre donc entre les attentes et la réalité en matière de bien-être. Or, s’il est un point sur lequel la littérature sur les révolutions s’accorde, c’est que les écarts d’attentes sont dangereux. Historiquement, un moyen éprouvé de contenir les foules naissantes a été la fourniture par les pouvoirs en place de "pain et de jeux", c’est-à-dire de consommation de base et de divertissement bon marché — une stratégie dont l’efficacité s’amenuise rapidement à l’époque actuelle.

Pour résumer cette section, il y a une génération, tous les pays occidentaux pouvaient encore être décrits comme des nations globalement cohérentes et dotée d’un sens plus ou moins fort d’identité et d’héritage communs. Aujourd’hui, ils sont tous devenus des entités politiques incohérentes, des puzzles de tribus identitaires concurrentes, vivant en grande partie dans des " communautés " virtuellement ségréguées, se disputant des ressources sociétales décroissantes de manière de plus en plus visible et violente. De plus, leurs économies sont enlisées dans un malaise structurel qui, selon plusieurs observateurs avertis, mène inévitablement à un effondrement systémique.

CONDUITE

L’intimité de la guerre civile, son intensité politique et sa dimension fondamentalement sociale, combinées à la vulnérabilité aiguë de tous les camps, peuvent en faire des conflits particulièrement sauvages et destructeurs. La guerre civile russe qui a suivi la révolution bolchevique de 1917 en est un exemple frappant. Dans ce type de conflit, les populations souffrent de cruauté et de fanatisme non pas pour ce qu’elles ont fait, mais pour ce qu’elles sont.

Les guerres civiles en Occident pourraient atteindre un niveau d’horreur comparable à celles de l’Amérique centrale des années 1970 et 1980. Dans ce scénario, une vie "normale" resterait possible pour la fraction de la population assez riche pour s’isoler des assassinats politiques, des escadrons de la mort, des représailles intercommunautaires et de la criminalité prédatrice qui caractérisent une société en décomposition.

Le problème est que la volonté de combattre — voire l’envie d’accélérer le conflit — n’est pas limitée à un seul groupe, comme pourrait le suggérer l’alarme récente sur le populisme d’extrême droite. Elle est en réalité plus généralisée, avec un radicalisme de plus en plus visible dans toutes sortes de communautés. Considérons, par exemple, ces lignes extraites d’un tract de gauche français publié en 2007:

"Il est bien connu que les rues grouillent d’incivilités. L’infrastructure technique de la métropole est vulnérable… Ses flux ne se limitent pas au transport de personnes et de marchandises. L’information et l’énergie circulent via des réseaux de fils, de fibres et de canaux, et ceux-ci peuvent être attaqués. En notre temps de décadence totale, la seule chose imposante à propos des temples est la triste vérité qu’ils sont déjà des ruines".

À ce stade de l’histoire des conflits, il semble presque superflu d’expliquer les techniques permettant d’exploiter les divisions sociales existantes et de les transformer en gouffres, tant ces méthodes ont été étudiées. Les établissements de défense occidentaux les connaissent bien, pour les avoir observées dans les divers théâtres étrangers où ils sont intervenus dans le cadre de la soi-disant guerre contre le terrorisme.

Est-il surprenant que ces leçons et ces idées aient trouvé leur chemin jusqu’en Occident? Le Guide du citoyen pour la guerre de cinquième génération, coécrit par le général Michael Flynn, ancien chef de la Defense Intelligence Agency et premier conseiller à la sécurité nationale du Président Trump, est un manuel explicite dans son objectif: éduquer les Occidentaux à la révolte. Selon ses propres mots, Flynn l’a écrit parce que " je n’ai jamais imaginé que les plus grandes batailles à livrer seraient ici même, dans notre patrie, contre les éléments subversifs de notre propre gouvernement"

Au cours des trente dernières années, l’Occident s’est impliqué, souvent à contrecœur, dans les guerres civiles des autres. Il aurait dû en tirer la leçon: il est impossible de maintenir une société multiculturelle intégrée une fois que les voisins commencent à enlever et à assassiner les enfants les uns des autres, à faire sauter les événements culturels de l’autre camp, à tuer les enseignants et les leaders religieux, et à détruire leurs symboles. Il est utile de noter que de nombreux exemples de ces actes se sont déjà produits en Occident — et en France seule, au cours des cinq dernières années.

Des scénarios, principalement centrés sur les États-Unis, décrivent à quoi pourraient ressembler les guerres civiles en Occident. Ils partagent une caractéristique commune: l’attente, exprimée par Peter Mansoor, professeur d’histoire militaire à l’Ohio State University, qu’elles seront "… pas comme la première guerre civile américaine, avec des armées manœuvrant sur le champ de bataille, mais une guerre du voisin contre le voisin, fondée sur les croyances, la couleur de la peau et la religion. Et ce serait horrible".

Environ 75% des conflits civils post-guerre froide ont été menés par des factions ethniques. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à ce que les guerres civiles en Occident suivent ce modèle. La nature des croyances évoquées par Mansoor mérite cependant d’être examinée. Je suggère que la croyance en question est l’adhésion de tous les groupes de la société aux préceptes de la "politique identitaire".

La politique identitaire peut se définir comme une politique dans laquelle les personnes partageant une identité raciale, religieuse, ethnique, sociale ou culturelle particulière tendent à promouvoir leurs propres intérêts ou préoccupations spécifiques, sans égard pour ceux des autres groupes ou de la communauté politique plus large. Elle est ouvertement post-nationale. C’est cela, avant tout, qui rend le conflit civil en Occident non seulement probable, mais pratiquement inévitable, à mon avis.

DEUXIEME PARTIE

Dans le premier essai, j’ai expliqué pourquoi cette situation est apparue: une combinaison de sociétés culturellement fracturées, de stagnation économique, de dépassement des élites et d’effondrement de la confiance du public dans la capacité de la politique normale à résoudre les problèmes, ainsi que la prise de conscience, par les groupes anti-statut quo, de stratégies d’attaque plausibles basées sur la perturbation des systèmes d’infrastructures critiques vulnérables. Dans cet essai, j’expose la forme probable que prendront ces guerres civiles et les stratégies qui pourraient être employées pour en limiter les dommages.

Au moment où j’écris ces lignes, les pays les plus susceptibles de connaître l’éclatement d’un conflit civil violent en premier sont la Grande-Bretagne et la France — deux nations ayant déjà connu des incidents précurseurs ou exemplaires du type décrit ci-dessous. Les conditions sont similaires dans toute l’Europe occidentale, ainsi qu’aux États-Unis, pour des raisons légèrement différentes. De plus, il faut supposer que si une guerre civile éclate dans un pays, elle risque de se propager ailleurs.

Dans l’article précédent, j’ai montré comment les conditions que les chercheurs considèrent comme indicatrices d’une guerre civile naissante sont largement présentes dans les États occidentaux. Selon les meilleures estimations de la littérature existante, dans un pays où ces conditions sont réunies, le risque qu’une guerre civile éclate est de  4% par an. Sur cette base, on peut conclure que la probabilité qu’elle se produise dans les cinq prochaines années est de 18,5%.

Supposons, sur la base de déclarations récentes de figures politiques ou académiques crédibles, qu’au moins dix pays en Europe soient confrontés à cette perspective. Les chances qu’un conflit civil violent éclate dans l’un d’eux sur cinq ans sont alors de 87%.

Une autre hypothèse raisonnable est que si un tel conflit éclate dans un pays, il a le potentiel de se propager ailleurs. Si l’on estime, de manière arbitraire mais plausible, que les chances de propagation sont de moitié, on peut conclure que le risque qu’un conflit éclate dans l’un de ces dix États et s’étende à tous les autres est d’environ 60%.

On pourrait contester l’évaluation de tout ou partie de ces facteurs et calculs. Peut-être les choses ne sont-elles que moitié moins graves que ce que j’avance, réduisant le risque à 2% par an? D’un autre côté, peut-être ai-je été plutôt conservateur?

Comme je l’ai soutenu précédemment, la perception d’une "dégradation" d’une ancienne majorité — l’une des causes les plus puissantes de guerre civile — est au cœur de tous les cas en cours. Objectivement, on doit conclure qu’il y a amplement de raisons de s’inquiéter de la possibilité qu’une forme de guerre civile éclate en Occident, une éventualité qu’il n’a pas considérée comme plausible depuis longtemps.

Cela m’amène à la question de savoir à qui s’adresse cet essai. Le premier public visé est celui des hommes d’État, à qui j’espère faire passer le message que le danger est "clair et présent", pour reprendre le jargon en vigueur.

Le second est le grand public, à qui je souhaite dire: "Non, vous ne délirez pas" — le sentiment que quelque chose tourne sérieusement mal est fondé.

Enfin, et plus spécifiquement, j’espère m’adresser aux commandants militaires à tous les niveaux, mais particulièrement à ceux qui détiennent la plus grande autorité. Vous avez passé un quart de siècle à réfléchir à l’insurrection et à la contre-insurrection. Vous savez exactement ce qui attend une société fracturée sous stress économique, dans laquelle la légitimité politique a été perdue, car votre propre doctrine le décrit. Tout ce que les états-majors généraux et les ministères de la Défense font maintenant est secondaire par rapport au danger principal.

Il existe un bon précédent à ce que je propose. En février 1989, Boris Gromov était le général le plus respecté de l’armée soviétique, un candidat évident pour devenir chef d’état-major général, puis ministre de la Défense. Au lieu de cela, il a démissionné de l’armée pour rejoindre le ministère de l’Intérieur en tant que commandant des troupes internes — un policier, en somme. Un journaliste perplexe l’a supplié d’expliquer sa décision. Gromov a répondu qu’il craignait la guerre civile.

Il estimait que la société soviétique était configurée de manière à conduire vers un conflit interne. Son devoir, tel qu’il le comprenait, était donc de réorienter son état d’esprit pour faire face à ce danger principal. La situation à laquelle sont confrontés les soldats et les hommes d’État en Occident aujourd’hui est fondamentalement similaire. Elle est aussi imminente pour eux maintenant qu’elle l’était pour le général Gromov à la veille de l’implosion de l’URSS.

La question se pose: si la guerre civile en Occident est potentiellement aussi imminente, que devraient faire les commandants pour s’y préparer dès maintenant?

La réponse est qu’une réorientation drastique de l’état d’esprit de l’establishment de la défense occidentale est nécessaire. Les généraux devraient formuler des stratégies pour répondre à la réalité du conflit civil. À tout le moins, s’ils craignent pour leur carrière et hésitent à planifier l’éclatement d’une guerre civile sans directive politique, ils devraient solliciter une telle directive.

L’essai qui suit est conçu comme un guide pour certaines des questions qu’ils pourraient demander l’autorisation d’étudier.

Toutes les guerres civiles sont sui generis, mais on peut supposer qu’elles partagent quelques caractéristiques générales, utiles pour structurer la réflexion sur la manière de naviguer dans la tourmente à venir.

VOICI LES PRINCIPALES:

    Les guerres civiles infligent de graves destructions par le vandalisme iconoclaste ou le vol d’éléments de l’infrastructure culturelle et sociétale — c’est-à-dire l’art, les objets historiques et l’architecture;

    Elles détruisent le capital humain d’un pays par le déplacement stratégique et massif de la population civile;

    Elles augmentent la vulnérabilité de la société à l’intervention étrangère prédatrice.[xiv]

Les guerres civiles sont disproportionnellement longues et sanglantes. Une étude statistique des guerres civiles de 1945 à 1999 a révélé une durée médiane de six ans et un total de 16,2 millions de morts — cinq fois plus que les conflits interétatiques sur la même période. Il s’ensuit que raccourcir leur durée est la stratégie la plus souhaitable pour limiter les dommages.

Le dernier point ci-dessus est crucial: l’implication étrangère dans les conflits civils semble être le principal facteur prolongeant leur durée.

En ce qui concerne les pertes, si l’on prend l’exemple de la Grande-Bretagne, avec une population de 70 millions d’habitants, et que l’on suppose des niveaux de violence comparables à la pire année du conflit nord-irlandais (1971, avec 500 morts dans une population de 1,5 million), on pourrait s’attendre à environ 23.300 morts par an. Si l’on se base sur la guerre de Bosnie des années 1990 ou sur le conflit syrien plus récent, on peut estimer qu’entre 1% et 4% de la population d’avant-guerre sera tuée, avec un nombre plusieurs fois supérieur de déplacés.

À la lumière du coût humain de ce que l’on pourrait appeler le scénario le plus optimiste, les lecteurs peuvent, à juste titre, considérer ce qui suit comme une stratégie d’évitement. Elle cherche à nier ou à atténuer certains résultats, sans supposer qu’il soit possible de les prévenir entièrement. Son équivalent logique est l’ensemble des mesures de défense civile autrefois mises en place par de nombreux États en prévision de bombardements massifs sur les villes — ce qui s’est produit — et de la guerre nucléaire — qui, heureusement, ne s’est pas encore produite.

VILLES ENSAUVAGÉES

Les gouvernements occidentaux, confrontés à une détresse civilisationnelle structurelle croissante et ayant gaspillé leur légitimité, perdent la capacité de gérer pacifiquement des sociétés multiculturelles finalement fracturées par les politiques identitaires ethniques. Le résultat initial est une descente accélérée de multiples grandes villes vers un statut marginalement "sauvage", tel que défini par Richard Norton dans un essai de 2003:

" … une métropole d’un million d’habitants ou plus, dans un État dont le gouvernement a perdu la capacité de maintenir l’état de droit à l’intérieur de la ville, mais reste un acteur fonctionnel dans le système international plus large".

Le concept, exploré plus avant par Norton et d’autres, englobe une gamme de contingences d’ensauvagement croissant, généralement expliquées par une typologie simple: vert (non sauvage), ambre (marginalement ou partiellement sauvage) ou rouge (activement en cours d’ensauvagement). En 2003, la ville férale exemplaire selon Norton était Mogadiscio, en Somalie.

En 2024, une liste des villes mondiales présentant certaines ou toutes les caractéristiques de l’ensauvagement ambre et rouge — tels que des niveaux élevés de corruption politique, des zones de non-droit, des industries en décomposition, des infrastructures défaillantes, une dette insoutenable, une police à deux vitesses et l’essor de la sécurité privée — inclurait de nombreuses villes occidentales. De plus, la tendance est résolument à l’aggravation de cette situation

En bref, les choses se dégradent manifestement en ce moment.

Cependant, elles vont empirer beaucoup plus — j’estime dans un délai de cinq ans au plus. Cela s’explique par la combinaison de deux facteurs vitaux.

Le premier est la dimension urbaine versus rurale des conflits à venir, elle-même résultat de la dynamique de peuplement des migrants. Pour faire simple, les grandes villes sont radicalement plus diversifiées et entretiennent une relation politique de plus en plus hostile avec le reste du pays.

Ceci est plus efficacement illustré par une carte, qui montre en noir les 457 circonscriptions françaises ayant voté au premier tour des élections au Parlement européen de 2024 pour le Rassemblement National, par opposition aux 119 en blanc ayant voté pour d’autres partis. Des cartes similaires, utilisant d’autres indicateurs pour mesurer l’humeur anti-statut quo, pourraient être facilement réalisées pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays.

Figure 1: Élections françaises 2024 Source: carte adaptée par l’auteur d’un original publié dans Le Monde (16 juin 2024).

Le second facteur est la configuration de l’infrastructure critique moderne — gaz, électricité, transport. Encore une fois, pour faire simple, les systèmes de support vital des villes sont tous situés dans ou traversent des zones rurales. Aucune de ces infrastructures n’est bien protégée; en fait, la plupart sont effectivement impossibles à sécuriser adéquatement.

En combinant ces facteurs, on peut esquisser la trajectoire des guerres civiles à venir. Premièrement, les grandes villes deviennent ingouvernables, c’est-à-dire férales, épuisant la capacité de la police — même avec l’assistance militaire — à maintenir l’ordre civil, tandis que la perception plus large de la légitimité politique systémique s’effondre de manière irréversible. L’économie est paralysée par une violence intercommunautaire métastasante et les déplacements internes qui en résultent.

Deuxièmement, ces villes ensauvagées en viennent à être perçues par une partie importante des "indigènes" de la nationalité historique, vivant désormais en dehors d’elles, comme ayant été effectivement perdues au profit d’une occupation étrangère. Ces derniers attaquent alors directement les systèmes de support exposés des villes, dans le but de provoquer leur effondrement par défaillance systémique.

Sous une forme limitée mais exemplaire, des attaques infrastructurelles de ce type se sont déjà produites.

À Paris, en juillet 2024, une attaque majeure de sabotage contre le réseau de câbles à fibre optique longue distance a suivi une série d’attaques incendiaires coordonnées sur le réseau ferroviaire.

Les deux attaques étaient supposées avoir été synchronisées pour coïncider avec les Jeux Olympiques accueillis par la ville.

À Londres, des militants connus sous le nom de "Blade Runners" ont endommagé ou détruit entre 1000 et 1;200 caméras de surveillance pour protester contre le schéma de zone sans émission de la ville. Au moment où j’écris, la police antiterroriste enquête sur l’incendie du transformateur électrique principal de l’aéroport d’Heathrow, qui a causé le report ou l’annulation de 1.300 vols, avec des dommages économiques sévères.

CONCLUSION

La conclusion selon laquelle une guerre civile se profile en Occident découle logiquement de préceptes standards et bien compris des sciences sociales.

La fracture probable des sociétés multiculturelles le long des lignes identitaires est une hypothèse évidente. La configuration de la géographie démographique et la polarisation factionnelle qui en résulte sont des faits mesurables.

La précarité de l’urbanisme contemporaine est une préoccupation soulevée par les géographes depuis au moins un demi-siècle.

Traduit et résumé par Jean Lamolie

 

09:37 | Tags : histoire, société, politique, religion | Lien permanent | Commentaires (0)